« À mes Enfans », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore [en deux tomes]. Tome I., Paris : Boulland, p. 425-434, 1830
« À mes Enfans », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Tome second, Paris : Boulland, 1830
Prépublication :
« Le départ. À mes enfans », Le Kaléidoscope, volume 8, n° 101, Bordeaux : Henry Faye fils, p. 241-243, 1827-08
Éditions du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :
« À mes enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore. 1819-1833. Idylles. Élégies, Paris : Lemerre, p. 135-140, 1886
« À mes Enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore. Reliquiæ. Volume 4, Paris : A. Lemerre, p. 292, 1922
« À mes Enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies complètes de Marceline Desbordes-Valmore publiées par Bertrand Guégan avec des notes et des variantes, tome premier, Paris : Éditions du Trianon, p. 216-222, 1931
« À mes enfants », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 91, 1973
Éditions du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :
« À mes Enfans », Marceline Desbordes-Valmore. À mes jeunes amis. Album du jeune âge, Paris : Boulland, p. 155-165, 1830
« À mes Enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de madame Desbordes-Valmore, avec une notice par M. Sainte-Beuve, Paris : Charpentier, p. 111-116, 1842
« À mes Enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Nouvelle édition augmentée et précédée d’une notice par M. Sainte-Beuve, Paris : Charpentier, p. 107-112, 1860
« À mes enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres choisies de Marceline Desbordes-Valmore avec études et notices par Frédéric Loliée, Paris : Libairie Ch. Delagrave, p. 102-106, 1909
« À mes enfants », Marceline Desbordes-Valmore. L’amour, l’amitié, les enfants, mélanges. Choix, notices biographique et bibliographique par Alphonse Séché, Paris : Louis-Michaud, p. 73-76, 1910
« À mes enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies. Choix et notice par Oscar Colson. Bibliothèque francaise, Vol. LVI, Berlin : Internationale Bibliothek, p. 146-150, 1923
« À mes Enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Choix de poésies. Notice par Maxime Formont, Paris : Librairie Alphonse Lemerre, p. 55-61, 1928
« À mes enfants », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies. Préface de Alain Bosquet, Paris : Le livre club du libraire, p. 31-35, 1961
Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :
À MES ENFANTS
Oui, nous allons encore essayer un voyage.
Avril est né d’hier, il vole au fond des bois :
Doux avril ! on entend partout sa jeune voix ;
Partout ses doigts légers déroulent le feuillage.
La nature s’habille ; il faut prendre l’essor :
À l’ombre de ma vie abritez votre sort,
Innocents pèlerins, suivez ma destinée.
Dans la vôtre, que Dieu rende plus fortunée,
Allez cueillir des jours libres et triomphants ;
Moi, je bénis les miens vous êtes mes enfants !
Le mortel le plus humble est fier de son ouvrage :
Combien ce tendre orgueil m’a donné de courage !
Oh ! que de fois, sensible et vaine tour à tour,
J’ai pensé qu’une reine envierait ma fortune !
Et je plaignais la reine en sa gloire importune :
Elle est à plaindre ; elle a d’autres soins que l’amour.
Sur son enfant qui dort ces grilles formidables,
Ces gardes sans sommeil, à l’œil toujours ouvert,
Ces hommes habillés de fer,
Disent que les palais sont des lieux redoutables.
Ses baisers maternels par jour lui sont comptés ;
Jamais sans des témoins son cœur ne se déploie ;
Et tous ses mouvements de tristesse et de joie
Sous son manteau de reine expirent arrêtés.
Elle n’a que ses yeux pour répandre son âme,
Pour caresser l’objet de ses pures douleurs ;
Son enfant l’appelle "Madame !"
Et Dieu seul voit tomber ses pleurs.
Moi, par le monde errante, et partout étrangère,
À vos berceaux de mousse à la hâte formés,
Seule, ardente à veiller mes amours tant aimés,
J’ai trouvé l’heure agile et ma tâche légère.
Et vous, enveloppés de pavots frais et purs,
Vous laissez votre vie à ma garde attentive ;
Vos doux jeux me rendent captive ;
Vos rêves ne sont pas moins sûrs.
Confiants, vous dansez quand votre mère chante ;
Son baiser vous délasse et vous mène au sommeil,
Sans prévoir que souvent la voix qui vous enchante
Va prier dans les pleurs jusqu’à votre réveil.
Ignorez-le toujours ! toujours, s’il est possible,
Puisez dans mes regards votre sécurité ;
Ils vous adouciront la triste vérité
Qui déchire le plus sensible !
Quand j’emportai vos jours loin d’un ciel sans chaleur,
Je vous couvais encore, ô ma jeune famille ;
Et je sentais naître ma fille
Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur.
Vous partagiez déjà notre errant esclavage,
Dociles émigrés ! faibles, tremblants et doux,
À peine éclos sur le rivage,
Vos mobiles destins s’envolaient avec nous.
Que ne peut-on fixer votre trace légère,
Votre audace riante, à la crainte étrangère !
Age heureux ! courts instants des naïves erreurs !
Inhabile aux soupçons, aux jalouses fureurs :
Moi seule, en vous berçant d’amour, de mélodie,
Je vous inoculai ma douce maladie ;
Déjà vous bégayez d’imparfaites chansons,
Et vos voix et vos cœurs vibrent de mes leçons.
De ce peu que je sais je vous instruis moi-même ;
Je vous aide à m’aimer autant que je vous aime ;
Je vous aide à chercher les mots les plus touchants,
Pour charmer votre père attendri de vos chants.
Je vous dis : "Aimez Dieu, car lui seul nous protège,
Lui seul vous aime, enfants, comme si les grandeurs
A vos fronts ingénus attachaient leurs splendeurs :
Il prête sa lumière à notre humble cortège ;
Et, pour nous soutenir sur les bords du chemin,
Devant nous il étend son invisible main."
Doux échos de mon âme, écoutez votre mère :
Un jour vous serez seuls, par la sentence amère
Qui sépare de force entre eux les voyageurs ;
Ne craignez pas pour moi d’anathèmes vengeurs ;
Relisez ces tableaux d’une innocente vie ;
Purs et vrais comme vous, ils désarmaient l’envie ;
Alors devant Dieu seul mettez-vous à genoux,
Enfants ! priez pour moi j’ai tant prié pour vous !
Sur la route plus triste errez du moins ensemble !
Contemplez ce nuage : hélas ! il nous ressemble,
Il va vite. En courant, levez parfois les yeux :
N’ayez peur, mes amis, je serai dans les cieux.
Vous comprendrez alors ces vœux mélancoliques
Où mon âme, n’osant tout haut se révéler
Dans ses alarmes prophétiques,
Vous plaignait sans vous en parler.
Car l’imprévoyante colombe,
Qui librement passait dans l’air,
Au trait parti comme l’éclair
Tressaille, tourne, expire, tombe
Aux pieds du tranquille chasseur ;
Et nul ange, ici-bas, n’a vengé sa douceur !
Je frissonne. Ma fille ! ô soudaines alarmes !
Ainsi, qui lit trop loin ne voit plus que des larmes :
Dieu ! pardonnez-les moi ; le temps doit m’en punir.
Quelle mère en secret ne vit dans l’avenir ?
Quelle mère n’a vu la saison des orages
Sur ses enfants chéris balancer leurs nuages ?
Les pleurs silencieux attendent les plus doux ;
Ils souffrent sans le dire, ils meurent à genoux.
Mais quoi ! les plus hardis seront-ils moins à plaindre ?
Que de pièges là-bas, et que d’écueils à craindre !
Que de monde autour d’eux dans ces lointains sentiers,
Où leurs pas et leurs vœux se livrent tout entiers !
Cédez, faibles roseaux, ployez sous la tempête ;
Aux souffles incléments dérobez votre tête !
Cœurs d’anges, dont le ciel a semé les penchants,
C’est donc aussi pour vous que je crains les méchants !
Quoi ! l’amour malheureux ? quoi ! l’amitié trahie ?
L’abandon ?... Non ! je rêve et je suis éblouie :
Non ! ce rayon divin, qui brille en leurs regards,
Ne les appelle pas à de tristes hasards :
Non ! l’azur de tes yeux, ô ma belle Hyacinthe,
Ne se voilera pas sous d’austères douleurs !
Mais dans tes jeunes mains tu m’apportes des fleurs :
Va ! l’augure est heureux, tu n’as pas une absinthe !
Il faut partir. Ce toit qu’il fut doux d’habiter,
Qui nous couvrit l’hiver, il faut donc le quitter !
Toujours quelque lien se rompra dans l’absence !
Je suis comme le lierre arraché malgré lui :
J’aimai si longtemps la présence
De ce que je quitte aujourd’hui !
Quoi ! toujours effleurer des rives orageuses ?
Quoi ! poursuivre sans cesse un fuyant horizon ?
Qui n’a quelque pitié des brebis voyageuses
Laissant à chaque haie un peu de leur toison ?
Oh ! que de fils brisés dans ma trame affaiblie !
Que d’adieux recélés dans le fond de mon cœur !
Déjà, je sais déjà comment fuit le bonheur ;
Je ne sais pas comme on l’oublie !
Mon âme libre encor s’élance en d’autres lieux,
D’où me sépare une absence éternelle ;
Comme l’oiseau blessé, qui n’étend plus qu’une aile
Pour traverser les cieux !
Mais en rendant mes jours à ma tremblante étoile,
Soit qu’un dur aquilon fasse frémir ma voile,
Soit que d’un ciel brûlant me consume l’ardeur,
J’aimerai des vallons la fraîche profondeur ;
Ma pensée en soupire, et le saule, et l’yeuse,
Et près du clair ruisseau la paisible fileuse,
Le bois qui la vit naître et la verra mourir,
Me rendront des tableaux, qu’il m’est doux de nourrir.
Aux coteaux de Lormont j’avais légué ma cendre :
Lormont n’a pas voulu d’un fardeau si léger ;
Son ombre est dédaigneuse au malheur étranger ;
Dans la barque incertaine il faut donc redescendre.
Venez, chers Alcyons, pressez-vous sur mon cœur ;
Jetez un tendre adieu vers la rive sonore :
Je le sens, quelque vœu nous y rappelle encore,
Quelque regard nous suit, plein d’un trouble rêveur.
Adieu... ma voix s’altère et tremble dans mes larmes ;
Enfant ! jetez vos voix sur l’aile des zéphyrs :
Dites que j’ai pleuré, dites que mes soupirs
Retourneront souvent à ces bords pleins de charmes :
Là, de quatre printemps j’ai respiré les fleurs.
Ainsi, partout des biens ; ainsi, partout des pleurs.
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