Poème « À Monsieur A. L. »

Premier vers dans l’édition de Marc Bertrand : « Vous demandez pourquoi je suis triste : à quels yeux… »


Manuscrits du poème :

Éditions du poème :

Édition du poème dans des recueils :

  • « À Monsieur A.-L. », Marceline Desbordes-Valmore. Pauvres fleurs, Paris : Dumont, p. 151-155, 1839

Éditions du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « À M. A. L. », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore. Reliquiæ. Volume 4, Paris : A. Lemerre, p. 139-142, 1922
  • « À Monsieur A. L. », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 2, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 404, 1973

Éditions du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :

  • « À Lyon (Quand le sang inondait...) », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies. Choix et notice par Oscar Colson. Bibliothèque francaise, Vol. LVI, Berlin : Internationale Bibliothek, p. 225-227, 1923
  • « À Monsieur A. L. », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Marceline Desbordes-Valmore, Lyon : H. Lardanchet, p. 182-185, 1927
  • « A. M. A. L. », Marceline Desbordes-Valmore, Choix et introduction par Raymonde Vincent, Paris : Egloff, p. 91-93, 1947
  • « À Monsieur A. L. », Jeanine Moulin. Poètes d’aujourd’hui. Marceline Desbordes-Valmore, Paris : Seghers, p. ?-184, 1955
  • « À M. A. L. », Marceline Desbordes-Valmore. Poèmes, Paris : Tchou, p. 104-107, 1965
  • « À Monsieur A. L. », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies. Préface et choix d’Yves Bonnefoy, Paris : Gallimard nrf, p. 123-125, 1983
  • « À M(onsieur) A(ntoine de) L(atour) (extrait) », Marceline Desbordes-Valmore. Textes choisis et présentés par Marc Bertrand, HB Editions, p. 41, 2001
  • « À Monsieur A. L. », Marceline Desbordes-Valmore. L’Aurore en fuite. Poèmes choisis. Choix et préface par Christine Planté, Paris : Points, p. 108-110, 2010
  • « À Monsieur A. L. », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies. Dossier par Virginie Belzgaou, Folio+ Lycée, Paris : Gallimard, 2021

Traduction du poème :

  • slovène :
    • « Gospodu A. L. », Marija Javoršek, Poezije, Ljubljana : Književno društvo Hiša poezije, 2016

Enregistrement du poème lu :






Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 2007) :

À MONSIEUR A. L.

    Vous demandez pourquoi je suis triste : à quels yeux
    Voyez-vous aujourd’hui le sourire fidèle ?
    Quand la foudre a croisé le vol de l’hirondelle,
    Elle a peur et s’enferme avec ses tendres œufs.
  
    Jugez s’ils sont éclos ! jugez si son haleine
    Passe dans le duvet dont se recouvre à peine,
    Leur petite âme nue et leur gosier chanteur,
    Pressé d’aller aux cieux saluer leur auteur !
  
    Et quand le plomb mortel fait trembler chaque feuille,
    Et les nids et l’orchestre et les hymnes d’un bois ;
    Jugez comme l’oiseau dont l’instinct se recueille,
    Retient avec effort ses ailes et sa voix !

    Enfin, si dans son arbre on voit bouger sa tête,
    Si pour ne pas mourir il chante encor son cœur,
    Poète ! étonnez-vous que l’humaine tempête,
    Ait trempé tout ce chant d’une étrange douleur !

    Sous quelques rameaux verts, jardin de ma fenêtre,
    Ma seule terre à moi qui m’ait donné des fleurs,
    Rêveuse aux doux parfums qu’avril laissait renaître,
    J’ai vu d’un noir tableau se broyer les couleurs :
  
    Quand le sang inondait cette ville éperdue,
    Quand la tombe et le plomb balayant chaque rue,
    Excitaient les sanglots des tocsins effrayés,
    Quand le rouge incendie aux longs bras déployés,
    Étreignait dans ses nœuds les enfants et les pères,
    Refoulés sous leurs toits par les feux militaires,
    J’étais là ! quand brisant les caveaux ébranlés,
    Pressant d’un pied cruel les combles écroulés,
    La mort disciplinée et savante au carnage,
    Étouffait lâchement le vieillard, le jeune âge,
    Et la mère en douleurs près d’un vierge berceau,


    Dont les flancs refermés se changeaient en tombeau,
    J’étais là : j’écoutais mourir la ville en flammes ;
    J’assistais vive et morte au départ de ces âmes,
    Que le plomb déchirait et séparait des corps,
    Fête affreuse où tintaient de funèbres accords :
    Les clochers haletants, les tambours et les balle ;s
    Les derniers cris du sang répandu sur les dalles ;
    C’était hideux à voir : et toutefois mes yeux
    Se collaient à la vitre et cherchaient par les cieux,
    Si quelque âme visible en quittant sa demeure,
    Planait sanglante encor sur ce monde qui pleure ;
    J’écoutais si mon nom, vibrant dans quelque adieu,
    N’excitait point ma vie à se sauver vers Dieu :
    Mais le nid qui pleurait ! mais le soldat farouche,
    Ilote, outrepassant son horrible devoir,
    Tuant jusqu’à l’enfant qui regardait sans voir,
    Et rougissant le lait encor chaud dans sa bouche...
    Oh ! devinez pourquoi dans ces jours étouffants,
    J’ai retenu mon vol aux cris de mes enfants :
    Devinez ! devinez dans cette horreur suprême,
    Pourquoi, libre de fuir sous le brûlant baptême,
    Mon âme qui pliait dans mon corps à genoux,
    Brava toutes ces morts qu’on inventait pour nous !

    Savez-vous que c’est grand tout un peuple qui crie !
    Savez-vous que c’est triste une ville meurtrie,
    Appelant de ses sœurs la lointaine pitié,
    Et cousant au linceul sa livide moitié,
    Écrasée au galop de la guerre civile !
    Savez-vous que c’est froid le linceul d’une ville !
    Et qu’en nous revoyant debout sur quelques seuils
    Nous n’avions plus d’accents pour lamenter nos deuils !

    Écoutez, toutefois, le gracieux prodige,
    Qui me parla de Dieu dans l’inhumain vertige ;
    Écoutez ce qui reste en moi d’un chant perdu,
    Succédant d’heure en heure au canon suspendu :
    Lorsqu’après de longs bruits un lugubre silence,
    Offrant de Pompéï la morne ressemblance,
    Immobilisait l’âme aux bonds irrésolus ;
    Quand Lyon semblait morte et ne respirait plus ;

    Je ne sais à quel arbre, à quel mur solitaire,
    Un rossignol caché, libre entre ciel et terre,
    Prenant cette stupeur pour le calme d’un bois,
    Exhalait sur la mort son innocente voix !

    Je l’entendis sept jours au fond de ma prière ;
    Seul requiem chanté sur le grand cimetière :
    Puis, la bombe troua le mur mélodieux,
    Et l’hymne épouvantée alla finir aux cieux !

    Depuis, j’ai renfermé comme en leur chrysalide,
    Mes ailes, qu’au départ il faut étendre encor,
    Et l’oreille inclinée à votre hymne limpide,
    Je laisse aller mon âme en ce plaintif accord.

              Lyon, 1834.





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