Poème « Deux chiens »

Premier vers dans l’édition de référence ci-dessous : « Deux vrais amis, deux chiens arrêtés dans la rue,… »
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Éditions du poème :

Édition du poème dans des recueils :

  • « Deux Chiens », Marceline Desbordes-Valmore. Pauvres fleurs, Paris : Dumont, p. 277-282, 1839

Édition du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « Deux chiens », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 2, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 432, 1973

Éditions du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :

  • « Deux chiens », Mme Desbordes-Valmore. Contes en vers pour les enfants, Lyon : L. Boitel, p. 29-34, 1840
  • « Deux chiens, vers », Mme Desbordes-Valmore. Le Livre des mères et des enfants, tome I, Lyon : L. Boitel, p. 39-44, 1840





Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :

DEUX CHIENS

  Deux vrais amis, deux chiens arrêtés dans la rue,
  Causaient, s’entreplaignaient du départ des beaux jours,
  Ceux qu’on nomme l’enfance et qu’on rêve toujours,
  Cette aurore si vive et sitôt disparue !

  Ô jeux sans esclavage ! ô festins enchantés !
  Par tout ce qui s’en va vous êtes regrettés ;
  On ne connaît chez vous de maître qu’ une mère ;
  Et cette ambitieuse est facile à servir :
  Le bonheur du plus faible est sa seule chimère ;
  C’est à force d’amour qu’elle veut asservir !

  Les deux chiens en pleuraient. Les chiens ont-ils une âme ?
  Ce qui les fait penser, est-ce un peu de la flamme
  Qui me luit ? Dieu le sait : ils pleurèrent d’abord,
  Grincèrent au présent et s’attristèrent fort.
  Puis, celui qui des deux aimait encore à rire,
  Cria : nous sommes fous, je suis prêt à l’écrire ;
  Rappeler au bonheur devrait être un plaisir ;
  Le bien qui fut mon frère est plus sûr qu’un désir,
  Et nous le déplorons à nous rendre malade ;
  Nous regardons la vie avec des yeux troublés ;
  Le soleil est-il mort ? les cieux sont-ils voilés ?
  Nos pieds sont-ils aux fers ? courons, mon camarade !

  - "Vous m’égayez toujours ! répond le moins heureux,
  Le moins libre, je pense, et le moins amoureux,
  Dont la condition semble seule adoucie
    Par l’honneur d’être chien d’un lord,
  Et par l’anneau qui ferme avec un secret d’or
    Sa cravate en cuir de Russie.

  "Oui, frère, touchez là ; nous sommes un peu fous ;
  Mais je veux dès demain l’oublier avec vous :
  Nous recevons demain , je veux dire mon maître,
  L’hôtel sera bruyant ; voulez-vous le connaître ?
  C’est là : venez demain ! mais pour y pénétrer,
  Ne vous fourvoyez pas : laissez d’abord entrer
  Les parents, les amis : par un orgueil étrange,
  Mon maître, pour les siens jamais ne se dérange,
  Car mon maître est très noble et ne leur doit qu’un pas.
  Mais lorsque vous verrez dans ses jeunes appas,
  Une belle... une fleur ! de son frêle équipage
  S’élancer en oiseau sur le bras de son page,
  Entrez sans vous courber, sans craindre les refus :
  Quand mon maître la voit, mon maître n’y voit plus !"

  Et de rire, un landau roulant vient les distraire.
  "La porte s’ouvre ; adieu, je vous quitte, mon frère ;
  Car on siffle après moi. Quand il revient des champs,
  Mon maître autour de lui veut avoir tous ses gens."

  Castor pressant le pas médite sa parure ;
  Il n’avait de six mois démêlé sa fourrure,
  Car son maître est si pauvre et si peu glorieux,
      Et si laborieux !
  L’artisan voit si tôt la fin de sa journée,
  Qu’il pèse le moment comme un riche, l’année ;
  Du luxe leur grenier n’offrait pas le tableau,
  Et Castor se baignait quand il tombait de l’eau.
  Il en cherche ce soir : on ne veut pas déplaire,
  On égaie un festin d’une robe plus claire ;
  Et sans l’anneau doré de ses frères les lords,
  Il lava sa misère ; elle fut belle alors !

  Quand il sortit lavé, les chiens du voisinage,
  Une blanche levrette à l’avril de son âge,
  Qui déjà le voyait d’un œil humide et doux,


  Accourut pour savoir ! ils accoururent tous :
  Il conta sa fortune à l’amante modeste,
  Et puis plus bas : "Ce soir je vous dirai le reste."
  La tremblante levrette entendit ses adieux,
  Le salua pensive et le suivit des yeux.

  Ce jour gros d’une fête éclate d’espérance,
  Et revêt pour Castor sa plus rose apparence ;
  Il va cueillir ses fruits au toit de l’amitié,
  Et du bonheur qui mange apprendre la moitié !
  Tous les gardiens sont hors de la cuisine ; ô joie !
  La broche tourne seule ; on flaire ! on peut choisir ;
  L’eau leur en vient du cœur et prêts à s’en saisir,
    Ils dansent autour de leur proie !
  Elle est lourde et brûlante, il faut la partager.
  Ciel ! si près du plaisir pourquoi donc le danger ?
  Laissez-leur ce hasard dont l’odeur les enchante ;
  Point ! dans l’hôtel en vain l’on s’enivre, l’on chante,
  L’orage couve et gronde : un marmiton hideux,
  Et prompt comme la mort s’élance au milieu d’eux :
  Il épargne Pollux qui hurle et qui se nomme,
  Et jette au vent Castor, l’indigent gastronome !
  Tournoyant et troublé, mais retenant ses cris,
  Castor tombe au milieu des chiens errants surpris,
  Qui rassemblés en club à la porte fermée,
  Mangeaient plus noblement leur pain à la fumée.

  Regarde avant d’entrer par où tu peux sortir :
  Malheureux, rire avec les heureux, c’est mentir !





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