« La Fiancée et le Choléra », Marceline Desbordes-Valmore. Pauvres fleurs, Paris : Dumont, p. 235-240, 1839
Édition du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :
« La fiancée et le choléra », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 2, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 423, 1973
Édition du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :
« La Fiancée et le choléra », Marceline Desbordes-Valmore. Poèmes, Paris : Tchou, p. 122-125, 1965
Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :
LA FIANCÉE ET LE CHOLÉRA
MARSEILLE
"Sur le navire en quarantaine,
Entendez-vous de tristes voix ?
La voix d’Arthur, grave et lointaine,
Ma mère ! soyez-en certaine,
A frappé la grève trois fois !
Il soupire notre veuvage,
Bercé dans l’air tiède au soir.
Il sait bien qu’au bord du rivage,
Pour saluer son esclavage,
Nous venons souvent nous asseoir.
Ma mère ! écoutez comme il chante :
On dirait qu’il pleure après moi.
Las de la chaleur desséchante,
Sous la lune rouge et méchante,
Je jurerais que je le vois !
Qu’il dorme à la cloche qui pleure
Et trame au port le couvre-feu ;
Qu’un tableau plus riant l’effleure ;
Pour lui laisser oublier l’heure,
Je veux bien qu’il m’oublie un peu !
Que de Marseille la charmante,
Il rêve les fruits et les fleurs ;
Qu’assoupi loin de la tourmente,
Il écoute ma voix d’amante,
Mais qu’il n’entende pas nos pleurs !
Près du fanal de l’habitacle,
Il est assis ; c’est le premier !
Si Dieu voulait faire un miracle,
Pour glisser sur l’humide obstacle,
J’aurais les ailes du ramier !
Ramier ! ramier ! dont la tristesse
Jette un sanglot tout près de nous,
Nous mourons aussi de tendresse ;
Prends mon âme ! et dans ta vitesse,
Va la poser sur ses genoux !
Va toucher parmi ces fronts mâles,
Le plus jeune chargé d’ennui ;
S’il a bu les fièvres fatales,
Baise pour moi ses lèvres pâles,
Et viens me baiser après lui !
Mais le canon de la vigie,
Vainement t’a fait tressaillir :
Dans une tendre léthargie,
Ton veuvage se réfugie ;
L’isolement fait tant vieillir !
Et voilà les cris des églises,
Qui surmontent le bruit des flots ;
En pitié si nos croix sont prises,
Ma mère ! les célestes brises,
Nous rendront tous nos matelots !
Leur nautonnier, vers la chapelle,
Navigue tout chargé de vœux ;
Aux pieds du pouvoir qu’il appelle,
Moi, pauvre amoureuse mortelle,
J’ai ma bague et ses longs cheveux !
Des cierges voyez-vous les flammes,
Monter aux vitraux attiédis ?
Ô ma mère ! on dirait des âmes,
Qui viennent de rompre leurs trames,
Et veulent un De profundis !
Dans votre piété qui tremble,
Ne dites plus : "Heureux les morts !"
C’est tenter Dieu qui nous rassemble :
S’il ne brisait trois cœurs ensemble,
Votre vœu serait un remords !
Sainte vierge ! quelle soirée !
On porte le bon Dieu partout !
La mort souffle avec la marée,
Et seul, dans Marseille éplorée,
Le fléau qui tue est debout !
Allumez toutes vos étoiles,
Patronne des mouvants séjours :
Que vos anges tissent des toiles,
Pour que le fléau dans les voiles,
S’éteigne avant quarante jours !
Arthur ! Arthur ! ..." Amour de femme,
N’eut jamais de cri plus fervent :
Heureux Arthur ! la voix et l’âme,
Roulèrent comme un bruit de lame,
Dans son rêve ému par le vent.
Et le ciel s’étoila paisible,
Comme si le ciel écoutait :
Mais le sort n’est jamais lisible,
Et le spectre au vol invisible
Emporta l’âme qui chantait !
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