Poème « L’idiot »

Premier vers dans l’édition de Marc Bertrand : « Avec l’aube toujours ta plainte me réveille,… »


Manuscrits du poème :

Éditions du poème :

Éditions du poème dans des recueils :

  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore [en deux tomes]. Tome II., Paris : Boulland, p. 251-260, 1830
  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Tome troisième, Paris : Boulland, 1830

Éditions du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore. 1819-1859. Les Enfants et les Mères, Paris : Lemerre, p. 26-32, 1887
  • « L’idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies complètes de Marceline Desbordes-Valmore publiées par Bertrand Guégan avec des notes et des variantes, tome second, Paris : Éditions du Trianon, p. 56-62, 1932
  • « L’idiot », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 159, 1973

Éditions du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :

  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. À mes jeunes amis. Album du jeune âge, Paris : Boulland, p. 15-25, 1830
  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de madame Desbordes-Valmore, avec une notice par M. Sainte-Beuve, Paris : Charpentier, p. 225-230, 1842
  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Nouvelle édition augmentée et précédée d’une notice par M. Sainte-Beuve, Paris : Charpentier, p. 195-200, 1860
  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Les Poésies de l’enfance, par Mme Desbordes-Valmore, Paris : Garnier Frères, p. 216-223, 1869
  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Les Poésies de l’enfance, par Mme Desbordes-Valmore, Deuxième édition. Revue et augmentée. Paris : Garnier Frères, p. 221-228, 1873
  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Les Poésies de l’enfance, par Mme Desbordes-Valmore, Troisième édition. Revue et augmentée. Paris : Garnier Frères, p. 221-228, 1876
  • « L’Idiot », Marceline Desbordes-Valmore. Les Poésies de l’enfance, par Mme Desbordes-Valmore, Quatrième édition. Paris : Garnier Frères, p. 221-228, 1881





Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :

  L’IDIOT

A MADAME PAULINE DUCHAMBGE

    Avec l’aube toujours ta plainte me réveille,
    André ! toujours ton nom tourmente mon oreille ;
    Car toujours sans pitié, persécuteurs enfants,
    Vous brisez son sommeil par vos cris triomphants.

Il dormait. De la nuit la fraîcheur salutaire
    Peut-être dans son sein versait un songe heureux.
    Quel autre bien attend l’orphelin solitaire ?
      Son réveil est si douloureux !
    Dans le sommeil du moins, l’oubli vient, le sort change ;
    Et, couché sur la terre où le soleil a lui,
      Qui sait s’il ne voit pas un Ange
      Sourire ou pleurer avec lui ?

    Pourquoi faire envoler son erreur décevante ?
    Regardez, inhumains, cet être languissant,
    Comme un chevreuil blessé que la meute épouvante,
    Essayer pour vous fuir un effort impuissant.

    Eh ! que vous a-t-il fait ? Laissez passer sa vie
    Sous le nuage triste où Dieu l’enveloppa :
Il n’a plus sa raison que le malheur frappa ;
    Mais votre voix est dure ; et tout ce qu’il envie,
    C’est l’indulgent silence : il parle au malheureux,
Il assoupit l’éclat de vos rires affreux.
    Quand vous l’avez blessé de vos cruelles armes,
    André frappe son cœur où s’amassent ses larmes.
    L’homme, pour tous ses jours, en apporte en naissant ;
    C’est le calice amer où son orgueil s’abreuve ;
    Bientôt, jeunes railleurs, vous en ferez l’épreuve,
    Et le plus gai de vous s’en ira gémissant.
    Vos teints de fleur, vos jeux, votre éclatante joie,
    Votre âge audacieux, qui croit régner toujours,
    Du temps qui raille aussi seront bientôt la proie :
      Vous serez vieux dans quelques jours.
      Des vieillards assis sur les places,
      À l’ombre des ormeaux vivaces
      Qu’ils y plantèrent autrefois,
    Vous aurez la langueur et les débiles voix ;
    La vie à vos regards retirera ses flammes ;
    Vous croirez que l’oiseau vous refuse son chant ;
    Quelque chose d’amer coulera dans vos âmes,
      Car vous direz : Je fus méchant !

    Dieu plaindra du roseau le naufrage rapide,
    Bien qu’il fasse en tournant rire les matelots !
    "Qu’eût-il vu, disent-ils, dans son destin timide ?
    Il eût bordé la rive et caressé les flots !”

Triste un jour comme André, je suivis sa détresse :
Loin de la ville heureuse elle nous égara.
L’église du coteau fit rêver sa tristesse ;

    Il salua l’église, et puis il soupira.
    Chancelant et courbé sur son appui de frêne,
    Il s’arrêtait pensif, il cueillait une fleur ;
    Et du jeune idiot la mousse et le troène
        Couronnaient la pâleur.

      Le vent qui passe et courbe la verdure
    Étonnait son oreille ; il cherchait ce murmure,
    Et comptait sur ses doigts le brisement égal
    De l’eau dans les cailloux épurant son cristal.
    Le jeu d’un papillon, qui planait sur sa tête,
      Le fit rire et tourner longtemps
    Il agitait ses mains avec un air de fête ;
    Et puis il oublia l’envoyé du printemps.
Il  dansa. Pauvre André ! La lointaine musette
    Lui disait que la danse avait frappé ses yeux :
    La mémoire entendait, mais l’âme était muette ;
      Le danseur n’était point joyeux.

    Sa faiblesse inclinée au bord de la fontaine
        Y suspendit mes pas ;
    Seul, à quelque ombre amie il racontait sa peine,
        Car il parlait tout bas.
    "Peut-être, me disais-je, heureux sous sa couronne,
    Plus légère à son front que le bandeau d’un roi,
    Il rend grâce à l’air libre et pur qui l’environne ;
    À l’image d’un homme il sourit sans effroi."
    Tout à coup, de ses fleurs la parure éphémère
    D’un souvenir aigu sembla le déchirer ;
    Il étendit les bras en s’écriant : Ma mère !
    Et plus faible et plus pâle il s’assit pour pleurer.
    Dans le ruisseau longtemps je vis tomber ses larmes ;
    À leur chute rapide André trouvait des charmes,
    Et curieusement les regardait couler.
    La pitié m’oppressait ; je ne pouvais parler.

    "André ! lui dis-je enfin, retourne vers la ville.
    Ne crains-tu pas la nuit passée hors des remparts ?
    Vois-tu les habitants rentrer de toutes parts ?
    Va ! pauvre agneau perdu, cherche au moins un asile."
    Alors, sans me répondre, il reprit son chemin.
    Il était sous ma porte assis le lendemain.

    D’un air doux et stupide il m’offrit une feuille
    De la guirlande encor pendante sur son front.
    Ah ! le présent du pauvre est digne qu’on l’accueille ;
    Dieu veut qu’il soit sauvé d’un douloureux affront.
    Et j’offris à mon tour l’espoir de l’infortune,
    Ce métal où le riche attache le bonheur.
      L’enfant mit la main sur son cœur,
    En détournant les yeux de l’offrande importune.

    "André ! pardonne-moi", lui dis-je ; il me sourit.
    Que ce touchant effort renfermait d’amertume !
    Quand de pleurer toujours nos yeux ont la coutume,
    Dans leur sourire encor le malheur est écrit.
    Et moi : "Veux-tu venir ? veux-tu changer ta vie,
      Enfant ? veux-tu voyager avec nous ?
    Tu verras d’autres cieux. Va ! tous les cieux sont doux ;
    Ils cachent tant d’espoir ! Les fleurs te font envie ?
    Viens ; partout la rosée y répand sa fraîcheur.
    Tu ne dormiras plus sur une pierre humide ;
    Et comme à des ramiers le passereau timide
    Se donne, tu suivras notre essaim voyageur ;
    Veux-tu ? ..." Ses yeux erraient ; j’y vis paraître une âme ;
    Son teint morne et mourant soudain se ranima.
      Vous allez juger quelle flamme
      Dans ce cœur éteint s’alluma.
      Un signe prompt m’attire sur sa trace ;
    Il monte vers l’église, il a franchi l’enclos

      Où d’humbles croix, d’humbles fleurs, tout retrace
      D’objets aimés l’invisible repos.
      Sur une tombe, à genoux, sans haleine,
      André s’étend, l’enferme dans ses bras ;
    Puis, avec un accent que l’on devine à peine,
    Il se lève en criant : Ma mère ! tu viendras !
      Mais épuisé par cet élan pénible,
      Cachant ses yeux dans l’herbe du tombeau,
      André s’endort comme un enfant paisible
      Qu’a réveillé quelque importun flambeau.

    Vous que je ne hais plus, car vos yeux sont humides,
    Des pleurs d’un insensé vous voilà moins avides ?
    Oui, croyez-moi, le cœur survit à la raison :
    C’est là que se retire un reste de lumière
      Qui doit échapper à la terre :
    Toujours d’un dard moqueur on y sent le poison !

    Ô mes jeunes amis, prenez bien sa défense !
    Nés sur le même sol, charmez sa longue enfance ;
    Sous vos toits généreux qu’il entre quelquefois !
    Enfants, ne raillez plus ses naïves chimères ;
    Éveillez sur son sort la pitié de vos mères,
    Et, quand je serai loin, rappelez-lui ma voix :
    Cette voix triste est douce à l’indigent timide ;
    Le pauvre aime l’accent ému de sa douleur.
    Vous-mêmes, croyez-moi, souvent un humble guide
    Peut en vous éclairant vous conduire au bonheur.

    Qui ne veut le bonheur ? L’homme, dès qu’il respire,
    Le demande au breuvage à ses lèvres promis :
    Plus tard il le demande à des songes amis ;
    Hélas ! il le demande encor quand il expire !

    André l’attend aussi : comme un frêle arbrisseau
      Jeté sur un terrain aride,
      Sous l’ardent soleil qui le ride,
      Attend la fraîcheur du ruisseau ;
      Sa jeunesse se fane et tombe
      Sans éclat, sans sève, sans bruit ;
      Et, loin du monde et loin du bruit,
      André l’attend sur une tombe !





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