Poème « Mademoiselle Mars »

Premier vers dans l’édition de référence ci-dessous : « Quoi ! les Dieux s’en vont-ils, Madame ? et notre France… »
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Éditions du poème :

Édition du poème dans des recueils :

  • « Mademoiselle Mars », Marceline Desbordes-Valmore. Bouquets et prières, Paris : Dumont, p. 199-204, 1843

Édition du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « Mademoiselle Mars », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 2, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 484, 1973





Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :

MADEMOISELLE MARS

  Quoi ! les Dieux s’en vont-ils, Madame ? et notre France
  Verra-t-elle ce soir tomber sans espérance
  Sur sa plus belle idole un éternel rideau,
  Comme un voile jaloux sur un divin flambeau ?

  Muse chaste ! au milieu de la foule idolâtre,
  Qui dés l’aube, en silence, erre au pied du théâtre,
  Vous voilà toute libre, ô Mars! et vous parlez;
  Et votre voix vibrante, au fond des cœurs troublés,
  Porte l’enchantement, l’attente, la mémoire,
  Et tout, pour vous répondre, a crié : Gloire ! gloire !
  En vain : votre sourire, aux anges dévolu,
  Vient de dire à la foule : Adieu ! je l’ai voulu.

  Mais, voyez : cent beautés, plus belles de leurs larmes,
  Ont détaché leurs fleurs pour arrêter vos charmes ;
  Comme dans la prière, inclinant leur beau corps,
  Leurs mains ont frappé l’air d’indicibles transports ;
  Et tout ce que l’Europe enferme d’harmonie
  Prête à ce dernier soir sa noblesse infinie !
  Tout pour vous enchaîner vous jette de l’amour,
  Et vous avez reçu la Reine en votre cour ;
  La Reine ! et sa bonté qui la fait mieux que reine,
  Assistant au départ d’une autre souveraine,
  Mêlant royalement à son adieu de fleurs
  Les diamants mouillés de quelques tendres pleurs.
  Et pas un cœur de femme en ce moment suprême
  Qui ne dise : Mon Dieu ! qu’elle est heureuse ! on l’aime !
  Oui ! jusques à la haine, éblouie un moment,
  N’a trouvé nul courage à son âpre tourment.
  Tous, saluant de loin votre front qui rayonne,
  Ont fait voler sur vous couronne sur couronne :
  En avez-vous assez, Madame ! et verrons-nous
  Devant plus de génie un grand peuple à genoux ?

  Demain, de tant d’amour doucement apaisée,
  Rêveuse, et sur vous-même un instant reposée,
  Vous pourrez, rendant grâce au Dieu qui vous forma,
  Vous écrier aussi : Vivre est doux ! on m’aima !
  Nous seuls avons l’effroi de votre solitude ;
  Vous en avez d’avance enchanté l’habitude :
  Beaucoup d’infortunés, que vous ne nommez pas,
  Savent à quels réduits vous élevez vos pas.
  De ce charme voilé Dieu seul sait le mystère ;


  Vous n’en avez rien dit aux riches de la terre :
  C’est l’a parte divin ! L’Église le saura,
  Et du péché de plaire un jour vous absoudra.

  Oui, tout ce que Dieu fait à la grâce accessible,
  À l’amour incliné vous l’avez fait sensible.
  Vive comme l’oiseau, jeune comme l’enfant,
  Vous portez à la lèvre un rire triomphant :

      On sent que le cœur bat vite
      Sous ce corsage enchanteur :
      On sent que le Créateur
      Avec amour y palpite !
      Vous feriez pleurer les cieux,
      Quand votre âme souffre et plie ;
      Et votre mélancolie
      Désarmerait l’envieux.

      Une musique enchantée,
      Où vous passez, remplit l’air ;
      Votre œil noir lance l’éclair,
      Comme une flamme agitée :
      Au bruit ailé de vos pas,
      Les âmes deviennent folles ;
      Et vos mains ont des paroles
      Pour ceux qui n’entendent pas !

  C’est qu’à votre naissance où dansèrent les fées,
  Ces donneuses de charme, à cette heure étouffées,
  Chacune, d’un baiser, pénétra vos yeux clos,
  Et mena le baptême au doux bruit des grelots.
  Elles avaient rompu leur ban et maint obstacle,
  Pour s’unir de puissance en un dernier miracle :
  Sur l’enfant demi-nu leur essaim palpita,
  Et dans votre âme ouverte, une d’elles chanta,

      Ce chant que la terre
      N’entend qu’une fois,
      Ce brûlant mystère,
      De brûlantes voix ;
      Ce philtre suprême
      Que rêve l’amant,
      Qui fit vos cris même
      Tous trempés d’aimant !

  C’est de là que vous vient le flot pur d’harmonie,
  Organe transparent du cœur et du génie ;
  C’est de là, dans vos pleurs, que des perles roulaient,
  Et dans vos yeux profonds que des âmes parlaient !

  Vos marraines fuyaient, que vous dormiez encore
  Au tumulte charmant de leur départ sonore ;
  Et vous aviez rêvé, pour ne pas l’oublier,
  Qu’aux arts un doux sabbat venait de vous lier.

  Mais votre ange gardien, vous couvant sous son aile,
  Effrayé de ces dons pour votre âme éternelle,
  Voilant votre front blanc, dans sa craintive ardeur,
  L’imbiba pour toujours de divine pudeur ;
  Et toujours, à travers l’impérissable voile,
  Tout soir, à notre ciel, allumait votre étoile.
  Qu’importe sous quel nom elle allait se montrer ?
  Vous étiez la lumière, il fallait l’adorer !

  Mais quoi ! les dieux s’en vont, Madame, et notre France,
  Pour la première fois a vu sans espérance
  Se refermer le temple où l’astre se voila,
  Où tout dira longtemps : "Silence, elle était là !"





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