Poème « La souris chez un juge »

Premier vers dans l’édition de Marc Bertrand : « Tremblante, prise au piège et respirant à peine,… »


Manuscrits du poème :

  • La Souris chez un juge. Manuscrit autographe : Manuscrit autographe en vente à la librairie Autographes des Siècles en février 2024, précédemment dans la collection d’Alexandrine de Rothschild, vendu le 26 février 1969 (n° 25) puis le 10 novembre 1990 (vente Sickles, n° 1096).

Éditions du poème :

Éditions du poème dans des recueils :

  • « La Souris chez un Juge », Marceline Desbordes-Valmore. Élégies et poésies nouvelles, Paris : Ladvocat, p. 189-198, 1825
  • « La Souris chez un juge », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore [en deux tomes]. Tome II., Paris : Boulland, p. 129-138, 1830
  • « La Souris chez un Juge », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Tome second, Paris : Boulland, 1830

Éditions du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « La Souris chez un juge », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies complètes de Marceline Desbordes-Valmore publiées par Bertrand Guégan avec des notes et des variantes, tome premier, Paris : Éditions du Trianon, p. 382-387, 1931
  • « La souris chez un juge », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 137, 1973

Éditions du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :

  • « La Souris chez un Juge », Marceline Desbordes-Valmore. À mes jeunes amis. Album du jeune âge, Paris : Boulland, p. 253-260, 1830
  • « La souris chez un juge », Mme Desbordes-Valmore. Contes en vers pour les enfants, Lyon : L. Boitel, p. 93-100, 1840
  • « La souris chez un juge, vers », Mme Desbordes-Valmore. Le Livre des mères et des enfants, tome I, Lyon : L. Boitel, p. 125-132, 1840
  • « La Souris chez un juge », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de madame Desbordes-Valmore, avec une notice par M. Sainte-Beuve, Paris : Charpentier, p. 251-255, 1842
  • « La Souris chez un juge », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Nouvelle édition augmentée et précédée d’une notice par M. Sainte-Beuve, Paris : Charpentier, p. 218-222, 1860





Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :

LA SOURIS CHEZ UN JUGE

    Tremblante, prise au piège et respirant à peine,
    Sortie imprudemment du maternel séjour,
    Rêvant sa dernière heure au seul bruit de sa chaîne,
    Une jeune souris voyait tomber le jour.

    Dans le grillage étroit qui la tient prisonnière,
    A passé d’un flambeau l’éclatante lumière ;
    Elle tressaille, écoute : un silence de paix
    Succède au mouvement qui la glaçait de crainte ;
    Et d’un vieux mur caché sous des lambris épais
    On entend murmurer cette humble et douce plainte :

    "Dans ta belle maison, toi, qui rentres content,
    Quand je me sens mourir de la mort qui m’attend,
    Redoutable ennemi de tout ce qui respire,
    Oh ! n’étends pas sur moi ton oppressif empire !
    Laisse ton cœur s’ouvrir au cri du malheureux :
    Hélas ! est-on moins grand pour être généreux ?
    Laisse-moi boire encor l’air, la douce rosée,
    Ce bienfait de la nuit, ce céleste présent,
      Dont, par un souffle humide et bienfaisant,
      Chaque matin la terre est arrosée.
      Juge, sois juste et rends-moi mes trésors,
    Un ciel à contempler, ma liberté native :
    Dieu me fit de la vie un plaisir sans remords,
      Toi, tu la rends sombre et captive.

    "Je suis une souris née au dernier printemps ;
    L’été commence. Hélas ! c’est vivre peu de temps !
    Viens voir, je porte encor la robe de l’enfance.

      Le blé nouveau, le riz friand, les noix,
      Disait ma mère, allaient avant deux mois
        Enrichir mon adolescence.
    Peu m’est assez pourtant ; facile à me nourrir,
    Je ne suis pas gourmande et tout sert au ménage ;
    Un grain d’orge suffit aux souris de mon âge,
        Pour les empêcher de mourir.

    "Ne me fais pas mourir ! Suis l’exemple d’un sage :
    Les souris sans danger visitaient son séjour ;
    Car ce sage disait : "De nos âmes un jour
    "Le sein des animaux peut être le passage.
    "Tout est possible à Dieu, l’impossible est son bien ;
    "Si par lui l’homme est tout, par lui l’homme n’est rien.
    "Grâce donc ! criait-il aux hommes en colère,
    "Muets pour la clémence et sourds à la prière ;
    "Grâce ! oubliez un peu les mots : glaive, trépas ;
    "Régnez sur le plus faible et ne le tuez pas !
    "La colombe au cœur tendre, à la plume argentée,
    "Peut-être est une amante aux forêts arrêtée
    "Par le doux souvenir d’un amour malheureux ;
    "On croit le deviner à son chant douloureux.
    "Qui sait si la souris n’est pas la jeune fille
    "Frappée en folâtrant au sein de sa famille,
    "Et qui tombe immobile en courant dans les fleurs :
    "Car, pour un peu de miel, que d’absinthe et de pleurs !"

    "Si le sage a dit vrai, tremble d’être inflexible,
    Tremble de tourmenter l’âme errante et sensible
    D’une sœur qui t’aima, d’une jeune beauté
    Qui se plaisait, enfant, sur ton sein agité.

        "Enfin, si ma part de la vie
        N’est que le rayon passager
    Du jour que mon cachot me dérobe et m’envie,
    Ce don si fugitif, daigne le ménager !
    Vivre, c’est vivre enfin, et le néant m’alarme ;
    Cette crainte au méchant coûte au moins une larme ;
    Juge de son horreur pour un cœur tout amour,
    Et si loin de la nuit ne m’éteins pas le jour !
    Faut-il te dire tout ? je veux devenir mère.
    Laisse-moi donc revoir, dans ma douleur amère,
    Un ami de mon âge, imprudent comme moi,
    Qui pour me délivrer s’élancerait vers toi.
    S’il avait de mon sort la triste confidence,
    Je lui dirais en vain : Sauvez-vous ! il viendrait :
    L’amour au désespoir connaît-il la prudence ?
    Il rongerait mes fers, ou bien il me suivrait.

      "J’ai dit l’amour : tu le connais peut-être ?
      Béni soit Dieu ! car l’amour est humain.
    Oui, je retrouverai la moitié de mon être,
        Et je serai libre demain !
    Oui, tu sais que l’amour console la nature,
    Qu’il jette au prisonnier des rêves gracieux,
    Qu’il souffle à son oreille un chant délicieux,
    Et que même au coupable il sauve la torture.
    Et je suis à genoux... et je tremble... et j’attends...
    Homme, pour te fléchir qu’il faut parler longtemps !

    "Un jour, que cet aveu m’en obtienne la grâce,
    J’avais salué l’aube et ton premier repas,
    Lorsqu’un bruit, plus léger que le bruit de mes pas,
    M’avertit qu’en secret quelqu’un cherchait ta trace.
    Ta voix devint alors plus douce de moitié.
    Celle qui répondait me parut suppliante,
    Et, si je ne m’abuse, à la tendre pitié
    Tu donnas plus d’une heure, ou l’heure était bien lente !
    Le bruit cessa, j’entrai ; les débris d’un festin
    M’invitaient à la table enfin abandonnée ;

      Et sur ma vie un moment fortunée
      Je vis pleuvoir les bienfaits du destin.
    Dans ces lieux trop aimés qu’à présent je déteste,
    J’ai vu, j’ai respecté la boucle de cheveux,
    Tombés d’un front charmant pour enchaîner tes vœux ;
    Ils ne sont pas les tiens, leur couleur me l’atteste.
        Ces liens souples et dorés,
        Ces doux aveux, ces feuillets roses,
    Les rubans embaumés dont ces lettres sont closes,
    N’ont pas séduit mes sens de langueur enivrés.
    J’ai respiré de loin la cire parfumée
    Qui scella, j’en suis sûre, un secret qui t’est cher :
    Le hasard me l’apprit sans m’en être informée ;
    Je courais, j’étais libre... hélas ! c’était hier !

    "Tu sommeillais peut-être, et plus vive que sage,
    Au pied de ces rideaux, que je baigne de pleurs,
    J’aperçus, ne crains pas que je le dise ailleurs,
    Un soulier trop petit pour être à ton usage :
    Je m’y blottis joyeuse et je le fis courir ;
    Je traînais en riant cette maison mobile,
    Dont les dehors, ornés par quelque main habile,
    M’enflaient d’un peu d’orgueil, et l’orgueil fait mourir :
    Car, depuis ce moment, éveillé par la haine,
    Tu m’élevas dans l’ombre une affreuse prison.
    Innocente souris, pour m’écraser sans peine,
    Un homme est descendu jusqu’à la trahison !
    Non ! ne m’écrase pas ! et si ma peur te touche,
    Que l’accent du pardon s’échappe de ta bouche !
    Il est dieu, leur dirai-je, il m’a donné des jours !
    Ton toit sera béni, ton nom vivra toujours,
    Et toujours de beaux yeux aimeront à le lire.

    "Et si jamais ton cœur, brûlé d’un saint délire,
        A langui pour la liberté,
    Qu’elle se donne à toi dans toute sa beauté !
        Que sur ta sereine carrière
    Elle épanche à flots purs sa tranquille lumière :
    Qu’elle trace à ta vie un facile sentier,
    Et te sème de fleurs un siècle tout entier !"

      Elle se tut. Le juge alors "Hé vite !
      "Elle est au piège, hâtez-vous d’accourir :
      "Étouffez-la, cette pauvre petite ;
        "Je n’aime pas à voir souffrir."





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