Poème « Un Christ au Salon de 1847 »

Premier vers dans l’édition de référence ci-dessous : « C’était le jour du peuple à visiter son Louvre,… »
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Éditions du poème :

Éditions du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « Un Christ au Salon de 1847 », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 2, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 642, 1973
  • « Un Christ au salon de 1847 », Marc Bertrand. Marceline Desbordes-Valmore, œuvre poétique, Lyon : Jacques André éditeur, p. 498-499, 2007

Édition du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :

  • « Sur le Christ de Delacroix », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies. Au débit des Muses et Vendeurs de curiosités poétiques, Liège : P. Aelberts, p. 5-7, 1951

Autre édition du poème :






Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :

UN CHRIST

au salon de 1847

  C’était le jour du peuple à visiter son Louvre,
  Et, roi silencieux, sous la porte qui s’ouvre,
  Le peuple, comme un fleuve errant en liberté,
  Allait porter son vote à l’immortalité.

  Et moi, prise au courant de cette foule aimée,
  Marchant avec effort dans son flot enfermée,
  J’ouvrais mes yeux sans voile aux mordantes clartés
  Qui des lambris vivants sortaient de tous côtés.
  Mais le cœur palpitant comme un cœur d’alouette
  Attirée au miroir où se heurte sa tête,
  J’avançais toute lasse et les yeux larmoyants,
  Laissant glisser mes pieds sur les parquets fuyants,
  Comme un rêve. Enlacée au bras d’une compagne :
  "Où donc l’air pur, disais-je, et l’ombre, et la campagne,
  Et la fleur véritable et qui se cueille, et l’eau
  Dont le semblant scintille au fond de ce tableau,
  Mais qui ne coule pas ! " Ta voix fraîche, ô Nature,
  Appelait loin de l’art mon esprit sans culture,
  Et vous, pardonnez-moi, chefs d’œuvre confondus,
  Pour mes sens imparfaits vous étiez tous perdus.

  Mais là-bas, séparé des marbres, des dorures,
  Des riantes beautés qu’enchaînent leurs bordures,
  Et d’enfants qu’on eût dits prêts à courir vers nous,
  Qui donc force la foule à plier les genoux ?
  Quel sombre attirement, quelle chaste lumière,
  A secouru de loin ma brûlante paupière ?
  Quelle halte pieuse à travers les bruits forts
  A suspendu la foule et ses houleux efforts ?
  Un Christ ! Une croix haute en silence gardée
  Par deux hommes rêveurs, deux soldats de Judée,
  Veilleurs insoucieux des meurtres d’alentour,
  Demandant à la nuit : Quand donc fera-t-il jour ?

  Il fait jour ! Il fait jour ! D’une croix éclairée
  La lumière descend dans cette nuit sacrée ;
  Mais, pour vos yeux de chair et malgré son retour,
  Ô veilleurs de la mort, il ne fera plus jour.

  La lune sur la terre avançant son visage
  De rayons effrayés perce le noir feuillage
  Comme un esprit vivant qui juge cette mort,
  Et le peuple qui tue et les Rois sans remord.

  Au fond du lourd sommeil, la moquerie éteinte
  Partout d’un saint effroi laisse couler la teinte
  Et l’âme en pleurs est libre enfin de se plonger
  Dans ce repos terrible et doux à partager.
  De vos flancs tout ouverts, ô vrai roi qu’on ignore,
  Car de vos flancs
  Ô Dieu vrai ! le pardon saigne et s’échappe encore ;
  Il saigne, oracle amer des maux qui vont couler
  Sur les ingrats que seul vous veniez consoler !

  Qui donc a retracé ce triomphe sans armes,
  Cet oracle muet qui crie avec des larmes ?
  Pour peindre ainsi son Dieu de  tristesse expiré
          tendresse
  Au fond d’un cœur mortel qu’il faut avoir pleuré !
  Qui donc a retrouvé ces couleurs introuvables,
  Ces ténèbres qu’on voit, ces pardons ineffables,
  Ce silence  étendu dans l’air terrifié,
      épandu
  Ce lamentable adieu du cher crucifié !
  Cette nuit qu’on entend sangloter sous ces voiles,
  Et l’orbe qui rougit dans un ciel sans étoiles,
  Et l’herbe qui se penche en tremblant sous les pieds,
  Les doux pieds de Jésus, les pieds froids et cloués.

  Qui n’a pas vu cela ne saurait le comprendre ;
  Qui l’a vu s’en abreuve, et ne peut pas vous rendre,
        sanglants
  Ô Christ ! ô pieds  meurtris ! Ô visage incliné !
  Ô grandeur ! Ô Dieu mort qui pour nous étiez nés !

  J’y penserai toujours. Toujours, morte ou blessée,
  J’aurai sur cette croix ma mémoire enlacée.
  Dieu d’amour, si l’amour sauve tout de l’enfer,
  Bénissez votre peintre, il a beaucoup souffert.





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