Poème « Un jour de deuil »

Premier vers dans l’édition de Marc Bertrand : « Rentrons, mes chers enfants ; de la foule éplorée… »


Manuscrits du poème :

Éditions du poème :

Éditions du poème dans des recueils :

  • « Un Jour de deuil », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore [en deux tomes]. Tome II., Paris : Boulland, p. 307-316, 1830
  • « Un Jour de deuil », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Tome troisième, Paris : Boulland, 1830

Éditions du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « Un jour de denil », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore. 1819-1859. Les Enfants et les Mères, Paris : Lemerre, p. 33-38, 1887
  • « Un jour de deuil », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies complètes de Marceline Desbordes-Valmore publiées par Bertrand Guégan avec des notes et des variantes, tome second, Paris : Éditions du Trianon, p. 88-94, 1932
  • « Un jour de deuil », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 169, 1973

Édition du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :

  • « Un Jour de deuil », Marceline Desbordes-Valmore. À mes jeunes amis. Album du jeune âge, Paris : Boulland, p. 45-54, 1830





Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :

UN JOUR DE DEUIL

        Une mère

    Rentrons, mes chers enfants ; de la foule éplorée
    Laissons les flots émus s’écouler loin de nous ;
    D’une grande douleur je me sens déchirée ;
    Notre France est en deuil, mettez-vous à genoux.

        L ’enfant

    Que d’hommes, ô ma mère, ont passé tout à l’heure !
    De la même tristesse ils paraissaient souffrir.
    D’où vient que tout le monde pleure ?
    Est-ce un roi qui vient de mourir ?

        La mère

    C’est un homme, ô mon fils ! un génie adorable,
    L’amour d’un peuple immense et son plus ferme appui ;
    C’est de tout notre espoir la perte irréparable ;
    C’est notre gloire éteinte, elle était toute en lui.

        L’enfant

    Ô ma mère !

        La mère

        Ô douleur ! ô lugubre journée !
    Voyez-vous, mes enfants, la cité consternée ?
    Tout un peuple en cortège, et tous nos toits en deuil,
    Et tous ces bras unis pour porter un cercueil ?

        L ’enfant

    Nous ne les voyons plus !

        La mère

          Non ; sous de sombres voiles
    La nuit comme la mort les dérobe à nos yeux ;
    Non, le ciel attristé ne montre point d’étoiles,
    Mais des sanglots lointains dirigent nos adieux.
    Ainsi des rois de l’air les cohortes hardies
    Ont suivi dans l’orage un aigle insurmonté ;
    Impatient des cieux et de la liberté,
    Si la foudre a brûlé ses ailes agrandies,
    Il tombe ; et, d’un long cri proclamant leur douleur,
    Les bataillons troublés s’abattent, se confondent ;
    Des échos orageux les soupirs leur répondent,
    Et le deuil de la terre encense leur malheur.

    Comme elle a retenti cette mort éloquente !
    Quel cœur n’a tressailli de son dernier soupir ?
      Quelle calamité frappante !
    Quel courage assez dur pour ne la point sentir ?
    Inclinez-vous, priez devant cette ombre auguste !
    Tous ses jours sont écrits dans ce funeste jour.
    Ah ! jugez si sa voix était la voix du juste,
    Puisqu’elle a pénétré dans notre humble séjour !

        L ’enfant

    Vous l’avez donc connu ?

        La mère

          Jamais de sa présence
    Mes regards attendris n’ont goûté la douceur ;
    Il attirait, absent, notre reconnaissance,
    Et de son nom lui seul ignorait la splendeur.
      Au sein de sa gloire éclatante
      Son âme n’était pas contente ;
    Il n’obtenait jamais ce qu’imploraient ses vœux.
    Ses vœux étaient si purs ! son âme était si belle !
    L’esprit qu’il combattait lui restait si rebelle !
    Esprit d’un meilleur monde, il va nous plaindre aux cieux.

        L ’enfant

    Mère, étiez-vous moins pauvre ?

        La mère

            Oui ! j’avais l’espérance ;
    J’en palpitais pour vous, pour notre belle France ;
    Enfants ! je vous voyais libres dans l’avenir.
    Il n’est plus, rien n’est plus ; qu’allez-vous devenir ?

        L ’enfant

    Pour qui faut-il prier ?

        La mère

          Pour ceux qui lui survivent,
    Ceux qu’à la terre encor de chers liens captivent ;
    Pour ses jeunes rameaux qui croissaient près de lui ;
    Pour sa moitié mourante et qui n’a plus d’appui !


    Vous l’avez vu passer sur un plus beau rivage* :
    De ses jours courageux prolongeant les hasards,
    Il allait d’un ciel pur essayer les regards.
    Oh ! rappelez-vous bien les traits de son visage !
    La pâleur de son front faisait déjà frémir
    Tous les cœurs qu’à présent vous entendez gémir.
    Sur ses pas chancelants quelle foule empressée !
    Que d’amour ! sa grande âme en était oppressée.
    N’oubliez pas ce jour, le plus beau de vos jours ;
    Nourrissez-en mes pleurs, et parlez-m’en toujours !

        L ’enfant

    Toujours je m’en souviens, ma mère : sur la rive,
    Mon père qui courait m’élevait dans ses bras ;
    L’homme qu’on adorait n’avait point de soldats,
    Il avait ses enfants, et l’on criait : "Qu’il vive !
    "Qu’il vive ! il est l’ami du pauvre vertueux !”
    Moi, je criais aussi ; car je voyais ses yeux
    Répondre avec douceur à ces âmes contentes,
    Qui jetaient devant lui leurs clameurs éclatantes.
    On suivit son navire, on le couvrit de fleurs ;
    Il détourna ses yeux comme en cachant des pleurs.
    Partout des chants français appelaient son sourire :
    Son sourire était triste ; il paraissait nous dire :
    "Adieu ! vos vœux bientôt me seront superflus."
    Ma mère ! et c’est donc lui que je ne verrai plus ?

        La mère

    Pour la dernière fois la France l’environne.
    Riche, pauvre, tout pleure à ce noble convoi ;
    Le méchant devant lui recule avec effroi,
    Devant lui le bonheur effeuille sa couronne.
    Du haut d’un char léger tristement descendus,
    Pâlissant sous les fleurs qui brillaient sur leur tête,
    De jeunes fiancés ont oublié leur fête,
    Et dans le deuil public ils marchent confondus.

    Que sur tous, à cette heure, une femme est à plaindre !
    Quel lien glorieux se brise dans son cœur !
    Que de femmes naguère enviaient son bonheur,
      Et que le bonheur est à craindre !
    Dans sa gloire funèbre, oh ! qu’elle doit souffrir !
    Au pied d’un lit désert sa douleur s’est cachée :
    C’est là que, gémissants, ses enfants l’ont cherchée ;
    C’est là que leurs sanglots l’empêchent de mourir.

        L ’enfant

    Ils sont donc orphelins ?

        La mère

          On le voit à nos larmes.
    Sur son corps immobile on a posé ses armes,
    Ses armes que pour nous Dieu guida tant de fois,
    Avant qu’en ses discours Dieu répandit sa voix.

        L’enfant

    Ses enfants ! ses enfants !

        La mère

          La France est leur égide ;
    Elle couve en son sein ces fruits faibles encor ;
    Ils n’ont que des lauriers, leur patrie et point d’or.
    L’ami du peuple est pauvre, et sa gloire est rigide.
    Nos maux étaient les siens, nos biens seront les leurs ;
    L’offrande jaillira d’une source innocente ;
      Et la France reconnaissante
      N’a point de stériles douleurs.

*  Le passage du général Foy à Bordeaux.






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