Poème « La visite au hameau »

Premier vers dans l’édition de Marc Bertrand : « Eh quoi ! c’est donc ainsi que tu devais m’attendre ?… »


Manuscrits du poème :

Éditions du poème :

Éditions du poème dans des recueils :

  • « La Visite au Hameau », Marceline Desbordes-Valmore. Élégies et poésies nouvelles, Paris : Ladvocat, p. 104-112, 1825
  • « La Visite au hameau », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore [en deux tomes]. Tome I., Paris : Boulland, p. 97-106, 1830
  • « La Visite au hameau », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies de Madame Desbordes-Valmore. Tome premier, Paris : Boulland, 1830

Éditions du poème dans des volumes de l’œuvre poétique de Desbordes-Valmore :

  • « La Visite au hameau », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore. 1819-1859. Les Enfants et les Mères, Paris : Lemerre, p. 147-151, 1887
  • « La Visite au Hameau », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies complètes de Marceline Desbordes-Valmore publiées par Bertrand Guégan avec des notes et des variantes, tome premier, Paris : Éditions du Trianon, p. 58-63, 1931
  • « La visite au hameau », Marc Bertrand. Les Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, p. 43, 1973

Éditions du poème dans des anthologies de poèmes de Desbordes-Valmore :

  • « La visite au hameau », Marceline Desbordes-Valmore. Œuvres choisies de Marceline Desbordes-Valmore avec études et notices par Frédéric Loliée, Paris : Libairie Ch. Delagrave, p. 142-145, 1909
  • « La Visite au hameau », Marceline Desbordes-Valmore. L’amour, l’amitié, les enfants, mélanges. Choix, notices biographique et bibliographique par Alphonse Séché, Paris : Louis-Michaud, p. 92-95, 1910
  • « La visite au hameau », Marceline Desbordes-Valmore. Poésies. Choix et notice par Oscar Colson. Bibliothèque francaise, Vol. LVI, Berlin : Internationale Bibliothek, p. 143-146, 1923





Texte du poème (selon l’édition de Marc Bertrand de 1973) :

LA VISITE AU HAMEAU

    Eh quoi ! c’est donc ainsi que tu devais m’attendre ?
    Dors-tu ? Fais-tu semblant de ne pas nous entendre ?
    J’accours mais au signal, déjà trop attendu,
    Ta vigilante mère a seule répondu.
    Au songe qui te flatte avec peine arrachée,
    De tes vagues erreurs lentement détachée,
    Ta paupière savoure un reste de pavots,
    Croit prolonger la nuit et s’obstine au repos :
    J’attends. Le poids léger de ta seizième année
    Peut-il, quand l’aube arrive, appesantir tes sens ?
    Viens ! viens voir avec moi s’éveiller la journée :
      Hélas ! qu’on dort bien à seize ans !


    Mais ton œil qui s’entr’ouvre a subi la lumière ;
    Tes pas qui languissaient se mesurent aux miens ;
    De la cité qui fuit nous passons la barrière,
    Et le songe a brisé ses fragiles liens.

    Vois-tu sur la montagne étinceler l’aurore ?
    Vois-tu tous ces hameaux dans les plaines épars ?
    Le Rhône est à leurs pieds ; ses liquides remparts
    Dans leurs flots ralentis nous les offrent encore.
    Ainsi l’un d’eux, la nuit, se peint dans mon sommeil ;
    Comme un jardin en fleurs tu vas le voir paraître :
    C’est lui ! mon cœur ému vient de le reconnaître,
    Tiens ! le voilà brillant des rayons du soleil.
    L’orme et le vieux tilleul versent leur ombre unie
    Sur l’enceinte où, le soir, autour d’un frais ruisseau,
    Des anges dans leur vol balancent le berceau
    D’une enfant, dont le ciel dans mes pleurs m’a bénie.
    C’est mon dernier amour : viens ! car elle rira,
    Lorsque sous mes baisers elle s’éveillera.
    Du fond de sa chaumière un vieillard me salue ;
    C’est l’augure des champs, il protège ces lieux :
    Il m’annonce ma joie, et de loin je l’ai lue
    Sur son front satisfait qu’interrogent mes yeux.
    Les mères en passant rassurent mon voyage ;
    Tout relève mon cœur de crainte combattu :
    La beauté de ma fille est l’orgueil du village,
    On me nomme comme elle, on en parle ! entends-tu ?

    Prenons ce vert sentier, car la route est brûlante.
    Laisse ces fleurs, là-bas, nous allons en cueillir.
    À me suivre jamais je ne te vis si lente ;
    Avance ! avance ! attends... Je me sens défaillir :
    Et je tombe, et tu ris ! La chaleur me colore,
    Et dans l’eau transparente, où je viens de me voir,
    Tes regards éblouis cherchent un frais miroir !
    Le soleil te fait peur, tu n’es pas mère encore :
    Jeune épouse, à ton tour tu presseras mes pas ;
    Quand, pour revoir un fils, oubliant ta parure,
    Tu seras nonchalante à nouer ta ceinture,
    Je dirai : "Prends donc garde, et songe à tes appas !
    Je le jure, avant peu tu seras moins dormeuse :
    Toi qui cherches déjà ton image en tous lieux,
    Tu la verras alors mouvante sous tes yeux,
    Dans tes bras, sur ton sein : que tu seras heureuse !
    Que ce miroir vivant, doux prix de tes douleurs,
    Te rendra sans atours, simple et belle, humble et fière !
    Comme la vigne enlace et pare un jeune lierre,
    Ton appui, tes baisers, ton sourire, tes fleurs,
    Tu lui donneras tout. A la tienne mêlée,
    Une autre image encore y confondra tes vœux :
    C’est ressaisir deux fois son enfance écoulée,
    C’est d’une double flamme éterniser les feux !

    Ne dis pas non, tais-toi; levons-nous, le temps vole ;
    Tu penses l’amuser par ta grâce frivole,
    Mais écoute des bois les nouveaux habitants,
    Et demande à ton cœur ce qu’ils font du printemps !
    Toi, déjà fiancée, écoute leurs cadences :
    Elles font aux passants de douces confidences.
    Quelle immuable joie et quel ordre enchanteur !
    Quel est donc leur monarque ou leur législateur ?
    Ils proclament l’amour jusqu’au ciel qui le donne,
    Mais ce n’est qu’au printemps que sa bonté l’ordonne :
    Crois-moi, l’amour tardif est un soleil d’hiver,
      Jour incomplet, levé tard, couché vite :
    Dans la saison dorée imprudent qui l’évite !
    Le plus doux fruit s’attache au buisson le plus vert.


    On regarde en pitié la plante solitaire,
    Qui s’exile et languit au toit de nos maisons ;
    Quand sa sœur à ses pieds croît et peuple la terre,
    L’autre se déshérite et n’a pas deux saisons ;
    Sans liens, sans famille, elle sèche ignorée,
    Et tombe avec la fleur dont elle était parée.
    Mais te voilà rêveuse et tu ne réponds pas :
    Oui ! bientôt à mon tour j’arrêterai tes pas.

    Mois d’amour ! en passant j’adore tes merveilles !
    Quand l’humide flambeau se promène et nous luit,
    Quelle main diligente ouvre les fleurs vermeilles,
        Et prépare, au sein de la nuit,
    Des parfums à nos sens, et du miel aux abeilles ?
    Tout veut naître, tout naît : l’été brûle en courant ;
    La glace qu’il atteint se fond en murmurant ;
    Pour aimer, pour braver la saison des orages,
    Le papillon, l’oiseau, les roses, les ombrages,
    Tout rit, tout vient d’éclore, et... vois sur le chemin
    Un enfant accourir en me tendant la main ;
    Moins jeune que ma fille, il me cherche, il mappelle.

    Toi que le même lait a rendu beau comme elle,
    Enfant, cours à ta mère : heureuse mère, hélas !
    Qui, fière, sous mes yeux tient ma fille en ses bras,
    Qui la berce, l’endort, et depuis sa naissance
    Me condamne, jalouse, à la reconnaissance !

    Laisse-moi dire : Un soir... oh ! que n’y suis-je encor !
    Quand mon sein palpita sous mon nouveau trésor,
    Quand j’entendis souffler sa faible et douce haleine,
    Pour veiller son sommeil je respirais à peine :
    Mes forces suffisaient à ce facile emploi ;
    J’étais assez pour elle, elle était tout à moi !
    Pour moi, de mon bonheur affaiblie, étonnée,
    Le passé du présent n’osait plus me punir ;
    Du moins sa sombre image, un moment détournée,
    Me laissait regarder ma fille et l’avenir :
    Mais quand ses premiers cris demandèrent la vie,
    Moi... ce ne fut plus moi qui la tins sur mon cœur !
    Et peut-être qu’au ciel reprochant ma langueur,
    Pour la première fois je devinai l’envie.
        Sans la repousser un moment,
        Comme un bien préparé pour elle,
    Mon enfant épuisa cette coupe nouvelle,
    Et changea ma frayeur en doux étonnement.

    Ne l’éprouve jamais, cette douceur amère,
    Toi que vient d’attrister ma subite pâleur ;
    Puisses-tu tressaillir, au nom sacré de mère,
    D’un bonheur aussi grand que le fut ma douleur !
    Viens voir ma fille, viens ! la moitié d’une année
    Enchaîne les beaux jours dont elle est couronnée ;
    Age muet encor, mais si pur, si joyeux !
    Idole d’une mère, amour de tous les yeux !

    C’est ici. Quel silence et quel calme autour d’elle !
    On entendrait la mouche et le bruit de son aile.
    Entrons, viens nous offrir à son naïf transport...
    Qui va-t-elle embrasser ?... Ah ! prends garde, elle dort !





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